Au Tchad sous les étoiles, Joseph Brahim Seid

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Préface

À ma bonne et douce Grand-Mère
Qui a bercé mon enfance heureuse
Que Dieu étende sur elle les nuages
Humides de sa miséricorde !

L'écriture est entrée dans le bassin tchadien
avec l'Islam autour du 10e siècle. Mais cette
introduction, plutôt précoce au regard du reste de l'Afrique subsaharienne, n'a pas suscité de production littéraire. Du moins, aucun texte n'a traversé le temps pour en porter preuve à ce jour, ni en langue arabe ni dans tout autre idiome. Même juste après la souveraineté du Tchad proclamée en 1960, le pays ne comptait aucun écrivain reconnu. Dans les écoles et les collèges encore imbibés d'histoires à la gloire de « nos ancêtres les Gaulois », il n'y avait ni
syllabaire, ni ouvrage dont la lecture était susceptible d'entrer en résonance immédiate avec les réalités que vivaient les élèves autochtones.

Ce désert littéraire ne prit fin que deux ans
après l'indépendance du pays. Parut alors ce
recueil de contes dont le seul énoncé du titre
remplit nos regards de tout le scintillement de la Voie lactée : Au Tchad sous les étoiles.

Joseph Brahim Seid a sûrement commencé,
sinon à rédiger son ouvrage, du moins à en collecter le materiau dans cette
période ardente de la fin des années 50 où le colonialisme agonisait. En tout état de cause, l'effervescence de cette époque où tous les rêves étaient permis à
la jeunesse africaine ne l'a pas empêché de
demeurer lucide jusqu'à la clairvoyance. Enfant du Tchad, il avait une conscience aigüe de la mémoire tourmentée des siens, une mémoire hantée par l'esclavagisme précolonial et, son prolongement, l'occupation française. Il savait
que négriers et colons avaient en commun
d'avoir monté les unes contre les autres, les ethnies comme les confessions pour mieux les asservir. Il savait aussi que les haines semées par les premiers avaient été attisées par les seconds et que le retrait de ces derniers laissait un pays riche de rien, sauf de ces inépuisables combustibles à guerres que sont les rancunes.
Pendant que flonflons et feux d'artifices
détournaient l'attention générale, il a pressenti les dangers qui couvaient à l'ombre des fêtes marquant la naissance de la nation tchadienne.

Mieux ! Il s'est attaché à les conjurer en convoquant les mots. C'est cet immense effort d'exorcisme qui a engendré ce livre, Au Tchad sous les étoiles, où la paix, la bonne gouvernance et la probité sont célébrées tandis que la discorde, la tyrannie et la déloyauté sont abondamment décriées.

Qui d'autre que Joseph Brahim Seid pouvait
adresser cette fervente prière de concorde à ses compatriotes et à tous les hommes ?

Il naquit à Fort-Lamy, aujourd'hui Ndjamena,
d'un père originaire du sud profond du pays,
une région qui était alors très peu islamisée. Il était musulman, mais portait un prénom chrétien. Par ailleurs, il témoignait à travers ses écrits et ses actes d'un profond respect pour les spiritualités traditionnelles. Il était donc enraciné à la croisée des principales appartenances qui quadrillent le Tchad. Ainsi, toutes les aspirations, les joies, les appréhensions et les douleurs des siens s'étaient sédimentées en lui pour
inspirer ces contes si allégoriques de l'âme de tout le pays.
Hélas ! L'exhortation au dialogue, à la paix et
la fraternité qui traverse Au Tchad sous les étoiles d'un bout à l'autre, n'a pas suffi sur le moment, à enrayer le retour des vieux démons que son auteur a annoncé. En effet, un an seulement après la parution du livre, une manifestation pacifique était violemment réprimée le 16 septembre 1963 à Fort-Lanny.Ce bain de sang allait
précipiter le pays dans une spirale de guerres civiles dont les effets et la menace
perdurent encore aujourd'hui.

Malgré le fracas d'un demi-siècle de
intermittents au Tchad, le chant du premier
livre de Joseph Brahim Seid reste plus que
jamais d'actualité. Au-delà de la nation tcha-
dienne elle-même, les valeurs qu'il exalte
demeurent des remèdes préventifs aux conflits fratricides pour toute communauté humaine, le conte étant l'une des voies royales de régulation morale d'une société. Justement, au nombre des valeurs louées dans Au Tchad sous les étoiles figure la solidarité que met en relief la légende
suivante empruntée à mon enfance.
Une seule montagne ne peut porter tout le ciel. Aussi certains ancêtres, dans leur grande sagesse, se font-ils eux-mêmes montagnes pour soutenir le toit du monde
qui ne cesse de ployer sous la folle natalité des étoiles :
entre autres, le Kilimandjaro au Kenya, le Mont-Blanc
en France, le Mont Fuji au Japon, le Machu Picchu au Pérou ou l'Everest au Népal sont tous nos ascendants.
Certains sont perceptibles, d'autres non. Mais c'est grâce à leurs efforts conjugués que le ciel ne nous tombe
pas sur la tête.
Au Tchad, notre plus grand aïeul tangible se
nomme le Tibesti. Mais à ses côtés se dresse désormais, invisible mais audible, le fendeur de brousse, Joseph Brahim Seid, celui-là même qui a ouvert la route permettant à notre pays d'entrer
dans la République des lettres.
Lisons ou relisons Au Tchad sous les étoiles, partout et en tout temps, pas seulement comme antidote à toute inhumanité, mais aussi pour le plaisir d'entrer en douce en poésie.

Nétonon Noël NDJÉKÉRY
Eysins, le 23 juillet 2017

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